Comprendre la démarque inconnue : un fléau silencieux dans la grande distribution
Si vous travaillez de près ou de loin dans la grande distribution, vous avez forcément entendu parler de démarque inconnue. Ce terme un brin mystérieux cache pourtant une réalité bien concrète – et souvent préoccupante – pour les commerçants. Vol, erreurs internes, casse non signalée… Les raisons sont multiples, mais l’impact sur la rentabilité est toujours le même : douloureux.
En tant qu’expert en stratégie commerciale, j’ai souvent rencontré des responsables de magasins qui, bien que conscients du problème, peinent à en identifier les causes réelles – ou à mettre en place une réponse efficace.
Alors, comment identifier, prévenir et limiter la démarque inconnue dans vos rayons ? C’est exactement ce que nous allons voir ensemble.
Qu’est-ce que la démarque inconnue ?
La démarque inconnue désigne la différence entre le stock théorique (celui indiqué par le système informatique) et le stock réel (celui constaté physiquement), sans que cette perte ne puisse être justifiée. Elle est qualifiée « d’inconnue » car sa cause n’est pas immédiatement identifiable. En France, elle représente en moyenne entre 0,8 % et 1,4 % du chiffre d’affaires des enseignes de grande distribution. Faites le calcul : sur 10 millions d’euros de CA, cela représente jusqu’à 140 000 € perdus… invisiblement.
Contrairement à la démarque connue (remises, dons, pertes identifiées), la démarque inconnue regroupe :
- Les vols à l’étalage
- Les vols internes (par le personnel)
- Les erreurs de caisse
- Les erreurs lors des livraisons ou du stockage
- Les erreurs d’inventaire
- Les produits cassés ou périmés non enregistrés
Oui, ça fait beaucoup de possibilités. Le défi ? Distinguer chaque scénario, assigner un coût aux pertes… et les réduire.
Pourquoi faut-il s’en préoccuper dès maintenant ?
Certains distributeurs tolèrent cette perte comme un “mal nécessaire”. Erreur stratégique. Dans un contexte de hausse constante des coûts de fonctionnement et de marge sous pression, chaque euro compte.
Ignorer la démarque inconnue, c’est un peu comme essayer de remplir une baignoire avec une grosse fuite au fond. On peut bien faire tourner le robinet à plein débit (augmenter les ventes), mais si une partie de l’eau s’échappe en permanence… On plafonne, voire on recule.
Par ailleurs, dans certaines enseignes, la baisse des ventes est faussement attribuée à une mauvaise dynamique commerciale, alors qu’elle est provoquée par une sous-évaluation chronique du stock disponible. Un double coup dur.
Analyser ses causes pour mieux agir
Prenons un exemple concret : un hypermarché en région bordelaise enregistrait plus de 1,1 % de démarque inconnue annuelle. Après audit, il s’est avéré que la majorité provenait de trois secteurs :
- L’alcool fort (vols en rayon)
- Les produits frais à DLC courte (erreurs d’enregistrement en réserve)
- Les articles en promotion sans étiquetage clair (confusion en caisse)
Cet exemple illustre l’importance d’un diagnostic précis. Sans données ni observations terrain, impossible de prendre les bonnes décisions.
Voici quelques questions utiles à se poser pour cerner les causes dans son propre point de vente :
- Quels rayons sont les plus touchés par la démarque ?
- Quel jour de la semaine ou quelle plage horaire voit-on des écarts ?
- Existe-t-il un lien entre les produits concernés et certaines opérations commerciales ?
- Le personnel est-il formé pour signaler les casses ou anomalies ?
Vous l’aurez compris : une démarque bien mesurée est déjà à moitié résolue.
Les bons réflexes pour prévenir la démarque inconnue
Maintenant que les causes sont identifiées, parlons des solutions à mettre en place. Pas de baguette magique ici, mais des méthodes concrètes à tester et à adapter à votre structure :
1. Mettre en place une politique de vigilance
La prévention commence par un bon état d’esprit. Tous les collaborateurs doivent être sensibilisés au sujet, dès l’intégration. Il ne s’agit pas de créer un climat de suspicion, mais de rappeler que chacun a un rôle à jouer. Affiche discrète en salle de repos, réunion mensuelle sur les pertes ou anecdotes vécues dans d’autres enseignes : chaque initiative aide à créer une vraie culture de vigilance.
2. Améliorer la traçabilité des produits sensibles
Certains articles sont plus « à risque » que d’autres : alcool, cosmétiques, petit électroménager, piles, lames de rasoir… Et pourtant, ils ne bénéficient pas toujours d’un suivi rigoureux. Astuce simple : les étiqueter avec des antivols visibles et les localiser à proximité des vigiles ou du personnel.
Pensez aussi à faire des inventaires tournants réguliers sur ces familles de produits, en complément des inventaires annuels.
3. Sécuriser les zones de réception et de réserve
C’est souvent dans les coulisses que les erreurs ou les vols se glissent. Une livraison mal comptabilisée ici, une palette déplacée là… et c’est le chaos. Pour sécuriser la chaîne logistique :
- Mettre en place un système de double vérification lors des livraisons (entrée et mise en rayon)
- Limiter l’accès aux réserves aux seules personnes autorisées
- Utiliser la vidéosurveillance dans les zones « à risque »
4. S’appuyer sur la data et les logiciels de gestion
La gestion de stock aujourd’hui ne peut plus se résumer à un tableau Excel. Des logiciels comme Lunix, RetailNext ou Mindventory permettent d’analyser de manière fine les mouvements de stock, les ruptures fréquentes et les anomalies persistantes. Certaines grandes enseignes croisent même désormais ces données avec les pics d’affluence pour estimer un « indice de risque » en temps réel.
5. Engager les managers et les équipes de vente
Comme souvent dans la prévention, c’est le relai managérial qui fait toute la différence. Les chefs de rayon et managers doivent être formés pour :
- Interpréter les écarts d’inventaire
- Identifier les produits « sensibles »
- Faire remonter rapidement les anomalies
Un outil simple mais puissant ? Le “livre des pertes”, dans lequel chaque collaborateur consigne les produits abîmés, oubliés, ou retirés sans vente. Ce type de réflexe limite la zone grise entre démarque connue et inconnue.
Des solutions techniques pour aller plus loin
On pourrait croire que la vidéosurveillance est réservée aux grands centres commerciaux, mais elle se démocratise. Aujourd’hui, de nombreuses caméras intelligentes permettent de détecter les comportements suspects en rayon (attroupements, mouvements trop rapides, etc.) et de réduire les failles au niveau des caisses automatiques.
Autre innovation intéressante : les portiques RFID. Contrairement aux antivols traditionnels, ils peuvent suivre les articles à chaque étape du parcours client. Des enseignes comme Decathlon ou Leroy Merlin l’utilisent déjà pour combiner traçabilité, inventaire instantané et prévention du vol.
Enfin, n’oublions pas les fameuses caisses automatiques… Si elles offrent un gain de productivité indéniable, elles peuvent aussi devenir un point noir en matière de démarque. Des solutions existent pour renforcer leur fiabilité :
- Mise en place de balances intégrées pour valider les poids
- Contrôle ponctuel par un superviseur
- Systèmes de reconnaissance visuelle des articles
Faire de la démarque un indicateur de performance
Plutôt que de subir la démarque inconnue comme une fatalité, certaines enseignes en font un indicateur de gestion à part entière. Et ça fonctionne.
Par exemple, une moyenne surface alimentaire du Nord a intégré un « taux de démarque ciblé » dans ses objectifs d’équipe. Résultat : les chefs de rayon sont devenus proactifs, les caissiers plus attentifs et les équipes en réserve mieux formées. En moins de 6 mois, la perte a chuté de 1,3 % à 0,7 %.
Cela montre bien que la démarque n’est pas qu’un problème logistique : c’est surtout un révélateur de fonctionnement global.
Et maintenant ?
Pour limiter l’impact de la démarque inconnue, pas de formule magique. Il faut une combinaison d’actions concrètes, un suivi régulier et (surtout) l’implication de toutes les équipes. Managers, caissiers, livreurs, agents de sécurité, clients même ! Tout le monde a un rôle à jouer dans la réduction des pertes invisibles.
Mon conseil : commencez petit. Choisissez un rayon stratégique, suivez sa démarque de manière hebdomadaire, mettez en test une ou deux actions ciblées… et mesurez. Ce qui compte, c’est la dynamique que vous lancez.
Les pertes invisibles ne sont plus une fatalité. Avec les bons outils et les bons réflexes, elles peuvent devenir un moteur d’amélioration continue, et même un levier de rentabilité. Alors, prêt à traquer vos euros volatilisés ?